Un alignement de planètes favorable
Epilogue d’un suspens de trente mois, Mario Draghi, le président de la BCE, n’a pas usurpé son surnom de « Super Mario » en dévoilant jeudi 22 janvier son plan de rachat d’obligations souveraines appelé également assouplissement quantitatif (de l’anglais Quantitative Easing ou QE).
Véritable Graal en terme de politique monétaire, ce plan consiste dans les faits à effectuer un rachat de dette des Etats (appelées dettes souveraines) sur les marchés obligataires. L’objectif est triple.
-D’abord cela permet aux établissements financiers détenteurs de ces dettes de récupérer instantanément des liquidités qu’ils peuvent réinjecter dans l’économie sous forme de crédits aux entreprises ou aux particuliers.
-Ensuite, une importante quantité d’euros se retrouvant sur les marchés, la valeur de la monnaie européenne baisse mécaniquement par rapport aux autres monnaies et notamment au dollar, ce qui est favorable aux exportations européennes instantanément plus compétitives.
-Enfin, l’abondance de monnaie en circulation, y compris celle issue des crédits, conjuguée au renchérissement du coût des importations provenant d’un euro faible, doit mécaniquement générer de l’inflation qui dans le cas présent viendra endiguer le risque déflationniste qui commence à se matérialiser en Europe.
Là où d’autres pays ont déjà mis en œuvre ce type de mesures (Etats-Unis, Royaume-Uni, Japon), il aura fallu attendre plusieurs années avant que l’Europe ne se décide à utiliser cette politique monétaire dite non conventionnelle. Cette action tardive est le constat que les armes habituelles, parmi elles, la baisse des taux d’intérêt, n’avaient eu aucun effet. En dépit de taux directeurs ayant déjà atteint les 0,05 %, l’économie européenne reste en effet atone et les banques sont peu disposées à prêter aux agents économiques. Par ailleurs, le risque de plus en plus prégnant d’une japonisation de l’économie européenne, c’est-à-dire d’une économie à la croissance durablement faible et avec des prix qui baissent régulièrement (immobiliers, salaires, etc.) a décidé le patron de la BCE à passer à l’action et a sûrement également fini de convaincre les plus opposés à cette politique, non dénuée de risques à terme, de la mettre en application.
Si l’assouplissement quantitatif représente l’ultime intervention qu’une Banque Centrale peut activer, comme l’ont rappelé Mario Draghi et les autorités politiques allemandes, elle doit impérativement être accompagnée de réformes structurelles de la part des états européens. De fait, si cette intervention a un effet immédiat sur le niveau de la monnaie européenne et sur les taux d’intérêt (qui resteront proches de zéro pendant une période de temps sûrement considérable), elle ne pourra à elle seule générer automatiquement la croissance attendue. Il lui faut pour ce faire la confiance des agents économiques, banques, entreprises et particuliers, pour respectivement faire des crédits, investir et consommer. La politique de la BCE est donc une sorte de pompe d’amorçage de cercle vertueux.
En attendant les effets bénéfiques sur l’économie réelle, les marchés financiers sont enthousiastes. Que ce QE version européenne fonctionne aussi bien qu’aux Etats-Unis ou soit aux effets très mitigés comme au Japon, les marchés savent que dans les deux cas, le Dow Jones ou le Nikkeï ne se sont jamais aussi bien portés qu’aux moments où leurs banques centrales intervenaient de la sorte. Ils n’ont d’ailleurs pas attendu les annonces du 22 janvier puisque l’euro chute désormais depuis plusieurs semaines, tout comme les taux d’intérêt à long terme. Seul le marché des actions affichait un peu plus de retenue, voulant être sûr de la date et des modalités de mise en œuvre, après plusieurs décalages liés notamment à des divergences avec les autorités politiques allemandes. Maintenant que cela est chose faite, rien ne les empêche de faire progresser les indices boursiers au-delà de leurs plus hauts de 2014, puis sur des niveaux bien plus élevés.
Nous partageons cet enthousiasme car outre la présence continue de la BCE qui va générer un afflux de liquidités et une forme d’appétence au risque, les Bourses de la zone euro ont rarement été confrontées à un alignement de planètes aussi favorable : pétrole très bas, taux d’intérêt à zéro, euro très faible, actions européennes très attractives en terme de valorisation relativement à leurs consœurs d’autres continents, entreprises et banques aux bilans sains, etc. Nul doute donc que l’année 2015 présente toutes les caractéristiques pour être un excellent cru boursier.
Toutefois, au-delà des espoirs et de nos anticipations très positives à horizon douze / dix-huit mois, il ne faut pas oublier les éléments qui ont ces dernières semaines provoqué une volatilité accrue sur les marchés, qu’ils soient politiques, géopolitiques ou tout simplement économiques. Les élections en Grèce sont d’ailleurs là pour nous le rappeler, tout comme plus tard dans l’année le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Europe, ou encore les élections à venir en Espagne. Concernant la Grèce, la situation issue des urnes ressemble en quelques points à l’élection de Lula, premier président de gauche élu au Brésil en 2002. Son programme électoral, ouvertement anti marché financier alors que le pays était noyé sous les dettes, avait séduit la population mais n’avait jamais été suivi d’effets, exécutant au contraire avec rigueur les recommandations du FMI…
Le court terme, par la violence, le stress, parfois l’incohérence de ses mouvements boursiers, peut surprendre voire désorienter et ce d’autant plus que les marchés, selon un vieil adage « achètent la rumeur pour vendre la nouvelle».
Dès lors, positive sans tomber dans un optimisme aveugle et béat, mais pragmatique, notre stratégie sur les marchés actions s’adapte à cette nouvelle ère monétaire européenne en passant d’un allègement quasi systématique des pics à un renforcement quasi systématique lui aussi, lors de tous les moments de faiblesse que la Bourse pourrait connaître et qui seront selon nous autant d’opportunités d’achats à ne pas rater.
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