L’État est-il le seul dépositaire de la morale publique et, à ce titre, seul responsable de la redistribution ? Les entreprises n’ont-elles aucune légitimité pour agir ? Certes, celles-ci ont parfois donné à voir le spectacle désolant de leur incapacité à œuvrer de façon cohérente et responsable. Pourtant nombreuses sont celles qui sont engagées dans des actions de RSE, d’ISR ou de solidarité, sans rien perdre de leur profitabilité.
Sont-elles reconnues pour autant ? Il faut aller, d’une part, beaucoup plus loin dans le partage de la valeur, et, d’autre part, faire reconnaître par l’équité fiscale l’action des entreprises qui œuvrent pour le bien commun. C’est à un renversement de paradigme que nous invitent les auteurs.
Les critiques de l’État-providence ne sont pas nouvelles et sont rarement originales. Il semble même que chaque époque ait trouvé à se plaindre d’un État jugé trop envahissant et captateur de richesses. Certes, le XXe siècle aura ajouté aux instruments habituels de l’État pour financer son train de vie un nouvel outil amené rapidement à faire florès, l’impôt sur le revenu. Le « ras-le-bol fiscal » que l’on feint d’éprouver en France depuis quelques mois ou années est à l’évidence un thème récurrent du débat public. C’est presque une entrée du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert qu’il faudrait inventer : « Impôts : toujours trop élevés. S’en plaindre. »
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ENTREPRISES ÉTHIQUES : ÉVIDENCE OU PARADOXE ?
Conscientes sans doute des limites de leur approche éthique, les entreprises ont, depuis presque deux décennies, cherché des pistes de travail leur permettant de faire converger leur activité économique et leur rôle social. Le bilan des engagements et des efforts consentis par les entreprises pour donner des gages en ce domaine est cependant mitigé – et du reste, tout n’est pas entièrement de leur responsabilité.
Ainsi, les efforts réalisés pour embarquer les collaborateurs dans l’aventure entrepreneuriale par des dispositifs variés d’intéressement relèvent sans nul doute de la volonté de fédérer le corps social – du moins celui de l’entreprise elle-même – autour d’un projet et des résultats obtenus.
Ces efforts se sont cependant heurtés à des dispositifs fiscaux dissuasifs qui en ont, pour une bonne part, ruiné la portée. La mort programmée des stock-options a notamment participé de cette volonté de la puissance publique d’abraser les gains ainsi réalisés, au nom de la justice sociale et fiscale. Le traitement fiscal de la participation et de l’intéressement, quoique moins radical, est allé dans le même sens. Ainsi, la tentative des entreprises de répondre au soupçon de privilégier la rémunération du capital aux dépens de la rémunération du travail (un arbitrage qui est au coeur des analyses de l’économiste Thomas Piketty) s’est heurtée à un rabot fiscal.
L’éclosion puis le développement rapide des thèmes de la responsabilité sociale d’entreprise (RSE) et ESG ont semblé également constituer une réponse adaptée aux exigences portées par la sphère sociale. S’il n’est pas ici utile de rappeler toutes les étapes de l’intérêt pour les activités et les produits financiers « socialement responsables », il convient de signaler que cette évolution s’est ancrée dans une réflexion menée en France dans les années 1980 par l’association Éthique et Investissement1 sous l’impulsion de sœur Nicole Reille.
Un changement de paradigme s’est progressivement produit dans l’investissement socialement responsable (ISR)2 : d’une sélection « excluante » des supports d’investissement sur critères éthiques3, on est passé à une sélection « incluante » des cibles d’investissement, soumises à des exigences claires en matière de responsabilité, de soutenabilité et de gouvernance. Il convient cependant d’avouer que la gestion ISR n’a pas toujours appliqué les critères éthiques de la manière la plus rigoureuse. Selon les acteurs, le curseur d’éligibilité à l’ISR peut varier du simple au double. Cela ne disqualifie en rien l’ISR, mais se prête évidemment à des lectures défavorables : Michael Porter lui-même n’hésite pas à parler de la corporate social responsibility comme d’un dispositif « cosmétique ».
« L’entreprise, entre solidarité et partage », Sylvain Fort et Cédric Meeschaert – Avril 2015
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