Les marchés, qui avaient jusqu’à présent bien digéré le risque inflationniste post covid et les changements de discours des Banque Centrales, se retrouvent aujourd’hui confrontés à un risque difficilement scénarisable : L’attaque de l’Ukraine par la Russie modifie les futures relations entre les grandes zones géographiques, la guerre froide des dernières années devenant une guerre chaude avant de devenir une guerre glaciale, qui verra la Russie devenir un paria économique et politique tant que Vladimir Poutine en sera à la tête.
Avec l’accumulation des sanctions prononcées contre l’appareil économique et financier russe, l’économie du pays semble vouée à un grand bond en arrière, ce qui rend la position du chef de l’État pour le moins inconfortable. L’issue du conflit doit donc être rapide, ce qui était sans doute anticipé par M. Poutine mais qui ne semble plus si évident. Même si une issue négociée parait la voie la plus raisonnable pour tous les acteurs, la grande difficulté des négociations qui s’ouvrent est que le chef de l’État russe voudra en sortir la tête haute… ce qui passera vraisemblablement par un changement de gouvernement en Ukraine.
Avant le début du conflit, les économistes tablaient sur une croissance dynamique du PIB mondial autour de 4%, même si des questions émergeaient autour du risque d’une inflation plus forte et plus durable que prévu. Elle est actuellement supérieure à 7% aux États-Unis et remontée au-dessus de 4% en Europe. Ceci a drastiquement modifié la position des Banques Centrales. Les hausses de taux sont le principal outil pour juguler l’inflation, mais des taux plus élevés rendent les investissements et la consommation plus chère. Elles ralentissent par conséquent la croissance et les éventuels déséquilibres entre offre et demande.
Le conflit, outre les blocages géopolitiques qu’il génère (pour longtemps sans doute), a provoqué une nette hausse des prix de l’énergie. Le pétrole est ainsi passé de 90 dollars avant montée des tensions, niveau déjà élevé à cause de la trop forte demande, à plus de 100 dollars. Si les prix ne baissent pas, cela ajoutera mécaniquement 0,5% à 1% d’inflation aux prévisions actuelles, et remettra en cause le scénario de 4% de croissance mondiale en 2022. La proportion de révision à la baisse dépendra clairement de la longueur et de l’issue du conflit.
A court terme, les marchés financiers devront donc jongler entre des économies toujours très solides (les résultats des entreprises publiés ces dernières semaines attestent de leur bonne santé), un risque grandissant que les prévisions soient révisées à la baisse (avec cependant des indices européens revenus à des niveaux de valorisation très raisonnables – PE 2022 à 12x), des Banques Centrales en difficulté devant arbitrer entre une inflation élevée (hausse des taux ?) et un risque de chute de la croissance (pas de hausse de taux ?), et un scénario plus noir qui verrait la situation dégénérer. La volatilité demeurera très élevée.
Si l’on écarte un scénario noir, plusieurs tendances se dégagent sur les classes d’actifs pour les investisseurs :
- Les marchés obligataires, en souffrance depuis le début d’année à cause de la hausse des taux d’intérêt, ont augmenté leurs pertes du fait de la montée des tensions et donc de la hausse des primes de risques. Ils commencent à redevenir intéressants : les obligations d’entreprises européennes notées Investment Grade offrent maintenant un rendement moyen de 1,3%, niveau que nous avions furtivement atteint en janvier 2019 (tensions Trump-Chine) et touché plus longuement en 2015. Les obligations à plus haut rendement sont dans la même situation, avec des primes de risques qui ont fortement augmenté. Sur cette dernière catégorie en revanche, des risques demeurent car elles seront sensibles à toute dégradation des perspectives économiques. Les primes de risques n’ont pas encore atteint les niveaux de 2016 ou 2018 par exemple où par deux fois les marchés financiers avaient commencé à anticiper des récessions (qui ne sont jamais arrivées).
- Sur les actions, le réflexe habituel de fuite vers la qualité et les valeurs refuge est revenu en force :
o Au niveau géographique : les États-Unis ont rattrapé une partie de leur sous-performance 2022 : le pays est clairement une valeur refuge en temps normal mais bénéficie de plus de sa faible exposition aux risques ukrainiens (gaz-pétrole, proximité géographique et économique). Nous avons récemment augmenté la part relative des États-Unis.
- La rotation sectorielle enclenchée fin 2021 en faveur des valeurs en retard (sociétés cycliques, valeurs financières, Télécoms, pétrole) a été en partie annihilée par la montée des risques, les valeurs financières étant notamment très fortement sanctionnées depuis une semaine. La guerre signe le retour relatif de grandes thématiques ayant peu performé depuis 12 mois telles que la transition énergétique qui permettra de s’affranchir du pétrole et du gaz, la santé, les télécoms. La nouveauté de la semaine écoulée est le retour en force du secteur de la défense, délaissé depuis plusieurs années et qui pourrait malheureusement devenir une thématique de moyen terme.
- Autres actifs :
o L’or, que nous estimons capé depuis 2 ans par le niveau de 1800 dollars l’once, a une nouvelle fois montré qu’il est plus réactif en tant que valeur refuge qu’en tant que rempart contre l’inflation… Toute accalmie en Ukraine provoquerait sans doute un retour vers 1800 dollars alors qu’il a récemment touché 1970 dollars et qu’il se trouve proche de 1900 dollars.
o Le dollar : il bénéficie actuellement de son statut de monnaie refuge. Les écarts de taux entre les zones Euro et US n’ont pas évolué donc en cas d’accalmie, un rebond de l’Euro nous paraitrait logique.
o Les produits structurés retrouvent un intérêt particulier, la hausse de la volatilité permettant d’offrir des coupons plus élevés.
A court terme, les marchés financiers resteront très sensibles à l’instabilité géopolitique actuelle. La volatilité restera élevée et il n’est pas encore temps de réinvestir massivement nous semble-t-il, même si une issue favorable à court terme pourrait générer un rebond sensible des valorisations. Hors scénario noir, nous pensons que les prochains mouvements de baisse, s’ils se produisent, seront des opportunités d’augmenter le risque des portefeuilles, notamment via l’achat d’obligations qui retrouvent des niveaux de rendements plus vus depuis des années.